Des personnes affectées témoignent

L’interview lue de 2013 avec des personnes concernées peut également être écoutée en anglais et en allemand sur le lieu de commémoration mobile. Celui-ci se trouve depuis 2017 à différents endroits de la ville et peut être visité.

Entretiens:

A (Femme) : Les entretiens suivants ont vu le jour au cours de l’été 2013, neuf ans après le décès de Laye Condé. Un avocat ami me donna des contacts d’hommes ayant été torturés par administration de vomitifs par la police. J’ai rapidement pris contact avec eux, quelques appels téléphoniques, et je me retrouvée dans une salle remplie d’hommes en colère.

Je leur ai dit que je souhaitais réaliser quelques entretiens pour un événement particuliers, dans la mesure où ils ne voudraient pas parler directement en public. Que je n’étais pas payée pour ce travail, et qu’eux non plus. Que je préférerais m’entretenir en petits groupes avec eux. Que je ne pouvais pas faire grand-chose pour eux, simplement enregistrer leurs voix pour qu’un plus grand nombre de personnes les entendent. Malgré tout, nos discussions ont amené beaucoup d’espoir. Certains voulaient exiger un dédommagement. D’autres ne s’en sortaient pas avec ces expériences traumatisantes, et voulaient leur résoudre. D’autres encore voulaient clarifier certains traitements injustes qui leur étaient arrivés.

Ce que tous désiraient : que justice soit faite. Ils ont déclaré au cours de cette première rencontre « Nous devons parler, nous devons lutter, pour nos droits ! ». Quelques uns ont immédiatement raconté leur histoire. D’autres se sont tus. Ils m’ont donné leur numéro, et ont été étonnés que je leur donne le mien.

Tous ceux avec qui j’ai discuté avaient peur d’être enregistré, peur d’être reconnu, peur d’une reprise des problèmes avec la police. Tous voulaient discuter avec moi sans image, juste avec enregistrement sonore. Certains n’ont toujours pas dévoilé cette torture de la police à leur famille ou à leurs amis et souhaitent ainsi rester anonyme.

Le traumatisme comme défaut de la victime. J’ai honte de constater que des victimes du racisme allemand sont laissées seules et en proie à leurs peurs. Je suis très reconnaissante de leur confiance. J’espère que l’atmosphère de nos entretiens a survécu aux modifications que j’ai du apporter pour masquer leurs identités.

B (homme) : J’ai été arrêté et emmené au poste de police. Un policier m’a dit: « Un médecin arrive, il va te donner un vomitif ». Une heure plus tard, un médecin est arrivé. Je sais plus où ils m’ont emmené, j’étais nouveau en Allemagne et je ne connaissais pas bien Brème.

Ensuite, ils m’ont dit que je devais boire de l’eau. J’ai demandé pourquoi je dois boire de l’eau ? ». Oui, parce que j’ai avalé des drogues. J’ai dit «  Non, je n’ai pas avalé de drogues. » Ils ont dit « Si, tu dois boire de l’eau. » J’ai lutté contre, mais ils m’ont agrippé et glissé le truc dans la bouche. Après j’ai commencé à vomir. J’ai vomi et vomi. A un moment donné, ils m’ont dit que je pouvais partir. Ils m’ont donné un sac plastique. J’ai vomi tout le long du trajet. Après, les deux- trois jours suivants, j’étais faible et je vomissais toujours. J’en ai encore des douleurs au ventre parfois.

C (homme) : Je crois que c’était à la gare ou dans la Neustadt, l’un des deux. J’ai été arrêté. C’étaient trois employés de la police qui c’était moqués de moi. A l’époque je ne parlais presque pas allemand. Ils m’ont apporté le vomitif dans un verre, que je devais boire. L’un m’a dit que c’était pour vomir. Tout ce qui est dans mon ventre doit sortir.

Je pouvais pas lutter, c’étaient trois hommes bien baraqués. Si j’avais pu comprendre ce qu’ils me donnaient, j’aurais bien plus réagis, mais à l’époque… Je ne savais pas comment c’était ici. Je n’avais aucune chance. Ensuite, j’ai du boire de l’eau. J’ai bu et bu, puis je suis allé vomir, puis à nouveau de l’eau, j’ai bu à nouveau, et vomi à nouveau.

J’avais avalé deux ou trois granules. Je ne sais plus combien exactement. Mais en tout cas, ce n’était pas beaucoup. Je voulais avoir un peu d’argent de poche. J’étais très naïf, je ne savais pas comment ça se passait ici. J’avais, disons, de mauvais amis. Et l’eau ressortait à travers mon nez et j’ai beaucoup vomi. Je n’allais pas bien du tout. Je le répète, je n’avais aucune chance, mon allemand était si mauvais. Puis je me suis éloigné de quelques mètres du poste de police, je n’allais vraiment pas bien. Ils m’ont dit que si je continuais à vomir, je devais vomir dans le sac plastique. Ils m’ont engueulés aussi.

A : Le médecin vous a examiné au poste de police ?

B : non, pas du tout. Il y avait deux personnes. L’un m’a arrêté et emmené au poste. Puis on m’a emmené dans un autre poste. Deux policiers m’ont tenu et le médecin m’a donné le vomitif.

C : Moi oui. Il a fait un truc standard, il a mesuré mon pouls. Après, j’ai du remonté dans la voiture et ils m’ont emmené. L’un était employé du service de criminalité, sans uniforme. Les autres portaient un uniforme vert.

A : Connaissez-vous beaucoup de personnes à qui ça leur est arrivé, qui ont été arrêtées puis qui ont du prendre un vomitif ?

B : Oui, j’en connais même un, ils lui ont donné quelque chose, il a vomi du sang quand il est arrivé au bateau. Il a vomi tout le temps du sang…

A : Avez-vous été arrêté souvent ?

B : Oui, c’est normal pour des noirs. Je me baladais près de la gare ou dans la rue Steintor, et j’ai été arrêté. Ils voulaient voir si j’avais de la drogue sur moi ou un truc comme ça. Ce qui n’était pas le cas, jamais.

A : Connaissez-vous des femmes qui ont du prendre un vomitif ?

B : Des femmes noires, non. Je n’en connais aucune.

A : Connaissez-vous des femmes blanches qui ont du prendre un vomitif ?

B : non, que des noires.

A : Vous souvenez-vous d’un policier en particuliers ?

B : Oui. J’en connais quelques uns, je connais même leur nom parfois. Eux me connaissent aussi.

C : Je les vois toujours. Parfois à la gare, parfois en ville faire leurs courses. Ils ont de la famille, moi aussi. Bien sur, je savais que c’était pas bon d’avoir de la drogue sur moi. Depuis, je suis très en colère contre moi, d’avoir fait ça, mais aussi une colère contre la manière dont j’ai été traité. Peut-être qu’il y a des personnes auxquelles ça ne fait rien, mais ce sont des choses qui restent ancrées. C’était une expérience de merde, mieux dit en allemand : une mauvaise expérience. Je crois que personne ne ferait ça à des blancs.

Aucune de mes amies ne connaît cette histoire, je ne veux pas la raconter. C’est honteux d’avoir eu à faire avec le monde de la drogue. Et les conneries qu’ils ont fait, ça me fout en colère. Et pourtant je sais bien que la colère n’est pas une solution.

A : Y-a-t-il des quartiers dans lesquels vous êtes plus souvent arrêtés que dans d’autres ?

B : J’ai été arrêté principalement aux alentours de la gare ou dans la rue Steintor. Dans la Neustadt aussi, mais pas si souvent qu’à la gare ou Steintor. On a peur, on est comme sous le choc. Tu ne sais pas toujours qui t’attaque. Ce cauchemar, comment je peux l’expliquer. Cette peur que quelqu’un te poursuive, ou bien tu es dans la rue et tout d’un coup quelqu’un arrive et te dit « Stop, police » et « Ouvre la bouche » ou bien ne dit pas « Police » mais arrive et t’empoigne. Certains sont en civil. Et tu n’as pas le droit de te défendre, car se défendre signifie que tu te bats contre la police, alors qu’ils n’ont pas encore montré leur identité et qu’ils ne sont pas forcément reconnaissable. Ils te foncent tout simplement dessus. On ne se sent pas sûr en Allemagne. Tu entends quelqu’un derrière toi et t’as tout de suite peur, parce que tu ne sais pas ce qui arrive.

A : Est-ce que vous sortez le soir ?

B : Pas souvent. Depuis que j’ai eu cette histoire, je ne sors pas souvent. On a peur qu’il nous arrive quelque chose. On ne doit pas seulement avoir peur de la police, on doit aussi avoir peur des nazis. Lorsqu’ils sont à quatre ou à cinq, ils s’attaquent à des noirs et te tabassent. Ça m’est arrivé plus que deux-trois fois, ça m’est souvent arrivé. On ne dort pas bien, car on pense tout le temps qu’il peut arriver quelque chose. On ne dort pas bien et si on entend un bruit, on est tout de suite réveillé. Ça fait longtemps que j’ai bien dormi.

A : Connaissiez-vous Laye Alama Condé ?

C : Oui, je l’ai vu quelques fois. C’était une personne calme. Je savais qu’il voulait en fait rester en dehors du monde de la drogue.

On ne sait vraiment pas du tout comment ça se passe ici. On cherche juste un travail quand on arrive d’Afrique. Tout ce qu’on a prévu pour reconstruire une vie ici est très difficile. Rien que la langue déjà, et de comprendre comment fonctionne le système, c’est très difficile.

Et Laye Alama Condé, je savais qu’il ne voulait pas du tout vendre de drogue. Il a toujours répété, « Non, jamais », il ne veut pas s’occuper de ça. Il voulait aller en discothèque avec sa copine, acheter des vêtements, c’est ça peut-être qui l’a obligé à le faire. Il a eu le malheur de son côté, de se faire prendre dès la première fois. Il ne savait pas ce que ça avait pour conséquences. C’est écrit nulle part et on ne sait pas les conséquences que ça a de faire ça.

A la maison, on n’a jamais fait des choses comme ça. En fait, personne ne veut être en contact avec ce monde pourri de la drogue, mais on y glisse. C’est clair que la punition a été dure. Dans son cas, c’était la première fois, ils lui ont donné ce liquide et il a en payé de sa vie. C’est triste, très triste.

A : En parlez-vous à vos enfants ?

B : Ils ne peuvent pas encore comprendre ça, mais je vais le faire plus tard, c’est sûr.

A : Quels sont vos souhaits ?

B : Que ça s’arrête. Que les noirs soit traités comme des hommes. Nous sommes tous des hommes. Ce n’est que la couleur de peau, mais sinon nous sommes tous des hommes. Les noirs ont des sentiments, comme les allemands. On peut ressentir de la douleur, comme les allemands. Les gens doivent s’imaginer ce que ça ferait si on leur faisait subir la même chose, comment ils se sentiraient. Oui, je souhaite que ça cesse. Ça doit cesser, c’est mon souhait. J’ai vécu plus longtemps en Allemagne qu’en Afrique. J’avais 15 ans quand je suis arrivé en Allemagne. J’habite ici depuis des années. Pourtant, on n’est rien, alors qu’on vit depuis longtemps ici. Aucun respect, rien. On ne se sent pas être comme un homme, on se sent comme être la dernière des racailles. Et je veux que ça s’arrête. Je souhaite que ça s’arrête.

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